Tout ce que vous devez savoir sur la psy « intégrative »

Concilier la psychanalyse, les thérapies comportementales et la méditation, les séances en individuel et en groupe… C’est la vision « intégrative » qui se développe en France pour mieux répondre aux besoins spécifiques de chacun. Le point sur une notion pas toujours bien comprise.

Par Isabelle Taubes

Un nouveau courant est en train de s’imposer en France : celui de la psy « intégrative », qui recherche les points communs entre les différentes tendances et met l’accent sur leur complémentarité. Il s’appuie sur le constat qu’aucune technique n’est suffisamment complète ni suffisamment bonne. « Intégrer » (du latin integrare) signifie rendre complet, entier, unifier. C’est, par exemple, considérer qu’un travail thérapeutique sera plus productif si le savoir acquis à l’aide d’une thérapie verbale, analytique, est vécu, mis en acte grâce à une thérapie émotionnelle, cognitiviste. ou à des exercices d’affirmation de soi. Intégrer, c’est aussi faire des choix : quelle technique, quel travail proposer à ce patient-là ?

« Il ne s’agit pas d’une nouvelle école ni d’une nouvelle méthode, expose Alain Delourme, psychologue, psychothérapeute et formateur de praticiens, qui s inscrit dans ce mouvement. Il s’agit de prendre en compte l’être dans sa globalité – le corps, les émotions, la pensée, la spiritualité, le passé, le présent, l’avenir. C’est un état d esprit, une volonté d’ouverture qui vont inclure les cultures anciennes, le yoga, la méditation. Il faut en finir avec les querelles de chapelles. Les confrères ne sont pas des ennemis. »

 

Une volonté d’unification

Aux Etats-Unis, l’intégration des approches thérapeutiques est déjà une vieille histoire, qui débute dans les années 1930. Aujourd’hui, un tiers des psys américains se réclament exclusivement de ce courant. Selon Françoise Parot (1), professeure d’épistémologie et d’histoire de la psychologie, c’est la vision américaine de la psychanalyse – pragmatique, visant l’adaptation (alors qu’en France elle a toujours été perçue comme un exercice intellectuel de haut vol) – qui a permis très tôt une alliance avec les thérapies cognitivo-comportementales et les thérapies « humanistes » comme la gestalt (2), l’analyse transactionnelle (3) ou l’approche centrée sur la personne de Carl Rogers (4).

En France, nous préférons les belles idées et les théories pures aux solutions pratiques, d’où les résistances face à l’intégratif, longtemps jugé trop peu rigoureux. Parmi les principaux arguments contre ce courant, le rappel que chaque grande approche thérapeutique porte avec elle sa vision particulière du monde et de l’homme. Et que, par conséquent, il n’est pas sérieux d’espérer les faire cohabiter… C’est à la fois vrai et faux, explique l’Américain Stanley Messer, professeur de psychologie clinique à la prestigieuse université Rutgers (New Jersey). « Les méthodes humanistes voient la vie et la thérapie comme une quête aventureuse : le patient est un héros en voie de libération qui va retrouver son être unique et merveilleux, sa vraie nature, son authenticité (5) », écrit-il. La psychanalyse partage cette vision romantique quand elle nous invite à explorer notre part cachée, nos rêves, nos fantasmes, à la manière d’un voyage vers soi-même. Mais, au terme de l’aventure, nul triomphalisme. Le chemin débouche sur une nécessaire résignation (une « castration », en langage lacanien) : le bonheur absolu est impossible et la vie en société est forcément frustrante.

Cette perspective a de quoi horrifier les praticiens des thérapies humanistes, qui insistent sur la bonté de l’homme, son formidable potentiel d’amour et de richesse. Pragmatiques, orientées vers la solution, les thérapies cognitives et comportementales, très utilisées dans le traitement des phobies et des conduites anxieuses, n’ont à la base rien de romantique. Pour elles, la guérison est essentiellement affaire d’apprentissage des conduites et raisonnements adéquats. Pourtant, au fil des années, ces courants, grâce à leurs échanges, ont évolué dans leur vision de l’existence. « Influencées par les méthodes humanistes, les thérapies cognitivistes et comportementales sont devenues plus « humaines », prenant davantage en compte les conflits affectifs du patient, nous apprend Stanley Messer. Les praticiens de la thérapie d’orientation analytique sont aussi devenus plus empathiques. Les thérapies humanistes, en revanche, n’ont pas cédé sur leurs idéaux de bonté et de beauté. »

 

Une création au quotidien

Les psychothérapies se transforment entre elles. Et comment nous transforment-elles ? Si l’approche intégrative est toujours centrée sur le patient et privilégie l’ouverture à l’ensemble des disciplines œuvrant à connaître l’humain et à le soigner, tous les thérapeutes n’ont pas la même idée de la façon dont ils doivent exercer leur métier. Pour Olivier Rouzet, psychopraticien lyonnais qui propose des thérapies individuelles et de couple (seuls les psychologues et les psychiatres ont droit au titre de psychothérapeute), par exemple, c’est l’état du patient qui détermine au jour le jour la stratégie thérapeutique à adopter. Un patient anxieux sera probablement plus réceptif à une séance d’hypnose guidée où il visualise des scènes de bien-être qu’à un lourd travail émotionnel ou de régression vers son enfant intérieur. « Je m’adapte, je me demande ce qui pourrait l’aider, précise-t-il. Je n’hésite pas à donner des conseils, à prescrire des « devoirs à la maison » entre les séances : écrire, réfléchir à telle ou telle problématique personnelle. »

Alain Gourhant, psychopraticien parisien, propose, lui, un parcours en trois grandes étapes. « Lorsque la personne commence à consulter, elle tend à intellectualiser son problème, à se couper de ses sensations, note-t-il. Il faut d’abord lui en faire prendre conscience, lui apprendre à les apprivoiser – par des techniques de libération émotionnelle, des approches psychocorporelles. » Dans un deuxième temps, le patient est invité à explorer sa vie inconsciente, en particulier l’origine de ses symptômes, par des techniques de régression, l’hypnose notamment. La dernière étape est celle de la « réunification intérieure » : donner du sens à sa vie, se centrer – par la méditation, des techniques énergétiques (yoga, qi gong). « Je ne sais jamais vraiment à l’avance comment va se dérouler une séance, commente le psy. La psychothérapie est un art. Comme un peintre, le thérapeute se laisse inspirer par son sujet, en l’occurrence ici son client. »

Pour Alain Delourme, être psychothérapeute intégratif, c’est être capable d’entendre son patient avec plusieurs références théoriques. A certains, il propose un travail à dominante analytique. A d’autres, une technique axée sur les émotions. Très souvent, le parcours associe séances individuelles et en groupe, avec du psychodrame (jeux de rôles thérapeutiques dans lesquels les participants sont invités à mettre en scène leurs conflits intérieurs, comme au théâtre). « Parfois, j’aide les patients à explorer leur vécu infantile; à d’autres moments, nous allons envisager leur futur, leurs projets », confie-t-il. La relation patient-thérapeute est le moteur de toutes les approches. Mais, en psychothérapie intégrative. la qualité de l’alliance thérapeutique est essentielle. « Le praticien et son patient travaillent ensemble pour comprendre la situation et trouver des solutions ». observe Olivier Rouzet. C’est-à-dire que le thérapeute admet que son patient est le meilleur expert de son propre « cas » : un net progrès si l’on pense à l’époque pas très lointaine où les psys se croyaient obligés d’être distants et muets comme des carpes. Faut-il pour autant se précipiter chez un thérapeute intégratif ? « Rien ne prouve qu’une thérapie classique ne soit pas aussi efficace, admet Alain Delourme. Personne ne dit que cette approche est plus performante qu’une psychanalyse freudienne. J’insiste : c’est un état d’esprit. »

1.            Lire l’article de Françoise Parot et Maximilien Bachelart : « La psychothérapie ne peut-elle être qu’intégrative? » sur www.maximilienbachelart.com.
2.            Inspirée de la psychanalyse, des approches humanistes et de la philosophie, la gestalt est une thérapie psychocorporelle qui insiste sur ce qui se passe « ici et maintenant » sans chercher la cause profonde, cachée, des symptômes.
3.            Théorie de la personnalité qui envisage trois « états du moi » (enfant, parent, adulte), l’analyse transactionnelle vise à améliorer la communication avec les autres, mais également entre soi et soi. en apprenant à repérer quelle voix parle en nous.
4.            Thérapie non directive dans laquelle le thérapeute aide le patient à se connaître, à évoluer, en exprimant les émotions que ce dernier suscite en lui. L’approche centrée sur la personne implique donc pour le psy un savoir-être autant qu’un savoir-faire.
5.            Stanley Messer, dans Psychothérapie Intégrative, sous la direction de John C. Norcross et Marvin R. Goldfried (Desclée de Brouwer, 1998).

 

Claudia. 42 ans, enseignante

« Chacune de mes expériences thérapeutiques m’a confrontée à une partie de moi »

« Etudiante, déprimée par un chagrin d’amour, j’ai démarré une psychanalyse classique avec mes premiers salaires. Je suis restée trois ans : le temps de comprendre que j’avais le droit d’être traitée avec attention et pourquoi je n’avais pas usé de ce droit jusqu’alors. Cinq ans plus tard, parce que je ne savais pas bien quoi faire de ma vie, j’ai rencontré un thérapeute qui s’est défini comme intégratif quand je lui ai demandé des détails sur son orientation. Parallèlement aux séances individuelles, il m’a proposé une thérapie de groupe, avec une approche psychocorporelle et des jeux de rôles. C’était parfois trop « hystérique » à mon goût, mais cela a amplifié l’effet du travail en solo. Mon rapport au corps s’est transformé. Je suis devenue plus sûre de moi. Analyser est essentiel, mais il faut aussi pouvoir vivre ce dont on parle. Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients : trop de défoulement émotionnel stérile dans certaines séances de groupe, pas assez de mises en acte en psychanalyse. Je n’ai pas eu l’impression de « consommer des thérapies », mais d’en user selon mes besoins du moment. Toutes m’ont confrontée à une partie de moi. » Propos recueillis par I.T.

 

Attention au bricolage

Qu’il soit intégratif ou non, un psychothérapeute doit avoir effectué un travail sur lui-même durant plusieurs années et avoir acquis une solide formation en psychopathologie. C’est encore plus vrai quand on envisage de se former à plusieurs approches. « J’estime que, pour être thérapeute, il est important d’avoir obtenu un diplôme universitaire en sciences humaines – anthropologie, psychologie, philosophie, sociologie… -, déclare Alain Delourme, psychologue et psychothérapeute. La fac forme au travail de la pensée, à la rigueur intellectuelle. Surtout, il faut avoir expérimenté les méthodes que l’on applique. » Et savoir les utiliser de manière cohérente. Par conséquent, un psychothérapeute qui prétend en connaître à fond une dizaine est presque centenaire ou… un apprenti sorcier. Il est donc tout à fait légitime de demander à un praticien dont l’offre thérapeutique est aussi vaste que la carte d’un restaurant chinois d’expliquer son parcours professionnel. D’autant plus que le succès d’une thérapie tient plus à la relation avec le psy qu’au nombre de méthodes utilisées.

 

Où s’adresser

Pour trouver un thérapeute dans votre région : ff2p.fr (annuaire de la Fédération française de psychothérapie et psychanalyse) et psy-en-mouvement.fr. Signalons que certains thérapeutes intégratifs préfèrent se qualifier de « multiréférentiels ». Vous trouverez aussi de nombreuses adresses sur Internet.

Source : PSYCHOLOGIES MAGAZINE n° 151, Septembre 2015

Jean-Pierre Lebrun : Les Couleurs de l’inceste. Se déprendre du maternel.

Le désir d’inceste est partout présent dans nos existences. Car il est ce à partir de quoi se construit à l’origine le désir. Mais pour que l’enfant s’humanise, qu’il devienne un véritable sujet, un être de parole, il lui faut renoncer, non pas comme on le dit communément à coucher avec sa mère, mais à la jouissance qu’il partage avec elle. Et à laquelle celle-ci doit également renoncer.

Or, de nos jours, l’interdit œdipien, impliquant de prendre de la distance avec le premier Autre de l’enfant, avec l’univers maternel, et de ce confronter à la perte, va de moins en moins de soi. Car la délégitimation dans notre environnement néolibéral de toutes les figures d’autorité, à commencer par celle du père, rend ces opérations difficiles. D’autant plus difficiles que tout, dans le discours dominant, tend à renforcer l’évolution vers une société qui prône, au nom d’une légitime aspiration à la démocratie, l’égalité sans limite – notamment entre le père et la mère, entre les générations. Et la mise en avant du seul individu, sinon d’un éternel enfant-objet. Ce qui conduit à confondre différence et altérité et incite d’autre part à récuser toutes les contraintes, à abolir toutes les limitations à la jouissance. Non sans conséquences, comme le montre par exemple l’apparition de nouvelles pathologies et en particulier l’essor spectaculaire des addictions de toutes sortes.

Que faire pour affronter cette crise de l’humanisation qu’a entraînée l’estompement de l’interdit de l’inceste sous toutes ses formes? Comment, en particulier, restaurer pour chacun la capacité de se déprendre du maternel? De pouvoir désirer? Comment éviter que, de plus en plus, le singulier ne l’emporte sur le collectif? Des questions cruciales, que l’auteur explore cas cliniques à l’appui.

Source : http://www.denoel.fr/Catalogue/DENOEL/Mediations/Les-Couleurs-de-l-inceste

Autorité et séduction

Un constat de société

Nous sommes nombreux à faire le constat aujourd’hui d’un manque d’autorité parentale, ayant assisté à une scène désolante, hélas répétitive, celle d’un petit garçon ou d’une petite fille qui insulte impunément sa mère ou son père, ou qui le manipule en obtenant jouets, faveurs, récompenses.

Nous faisons également le constat d’un excès de séduction, lisible à travers le matraquage publicitaire, et le comportement des petites filles, qui souhaiteraient déjà être des femmes, à peine passé leur puberté. Elles affichent parfois des plastiques de jeunes femmes convaincantes, mais révèlent des comportements et des raisonnements infantiles qui risquent de les mettre en danger.

Lorsque l’autorité manque et que la séduction est en excès, la perversion devient l’unique choix familial, avec son cortège de transgressions et de malheurs : non-dits, inceste, violence, alcool, obésité et somatisations de toutes sortes – crise cardiaque, cancer, diabète… – et le cortège des désordres psychocorporels : anorexie/boulimie, drogue, stress, anxiété, dépression…

« L’enfant roi » est devenu une catégorie marketing, et les publicitaires ont bien compris l’intérêt qu’ils pouvaient retirer à profiter de la faiblesse des parents, voire à l’entretenir sciemment, ou à utiliser l’enfant comme un prescripteur. L’enfant devenu roi détrône le roi et la reine (ses parents), et règne en tyran dans la famille et à l’école. Il ne pourra pas devenir prince ou princesse (pour former un couple), et aura toutes difficultés pour devenir à son tour roi ou reine (père ou mère).

N’ayant pas connu de limites, par l’autorité parentale, sa volonté d’expansion est infinie, et se heurtera vite à la Loi, qu’il tentera de contourner plus ou moins habilement. Son avenir est celui : d’un délinquant (personnalité asociale) ; d’une personnalité impulsive et instable, malheureuse et isolée (borderline) ; d’un manipulateur talentueux, faisant une belle carrière mais détruisant son entourage (narcissique ou pervers narcissique).

 

Quel lien y a-t-il entre ces deux thèmes ?

L’autorité et la séduction sont deux qualités ou types de rapport au monde, très souvent en question en psychothérapie.

Souvent, il y a déséquilibre, chez l’homme ou chez la femme, avec une inclination vers l’un ou vers l’autre : excès d’autorité et manque d’habilité relationnelle, personnalité séduisante dépourvue d’autorité parentale ou professionnelle.

Idéalement, un individu « accompli et épanoui » possède ces deux qualités et en fait un usage modéré. Son autorité et sa séduction lui permettent d’influencer un interlocuteur avec respect et bienveillance, de le motiver et obtenir son adhésion dans le sens d’un comportement ou d’un projet. Elles permettent de renforcer la relation. Concrètement, l’autorité et la séduction facilitent l’éducation des enfants, ou la bonne marche d’un service en entreprise ou dans une administration.

 

Comment se construisent ces deux qualités ?

Même si le nouveau né est la rencontre d’un père et d’une mère, même si les futurs parents ont eu neuf mois pour se préparer, et même s’il sort des entrailles de sa mère, celui-ci n’en demeure pas moins un étranger dans la famille, un être ayant déjà sa personnalité définie génétiquement, qui a besoin de séduire sa mère pour se faire adopter !

C’est sans doute pour cette raison que la réaction saine de l’entourage est celle des « gouzi-gouzi » attendris et des sourires un peu béats : nous accueillons ce petit être très vulnérable affectivement, pour l’aider à se construire progressivement, prendre confiance en lui, et s’affirmer. Claude Racamier évoque une « séduction narcissique réciproque des trois premiers mois indispensable au développement de l’enfant » : l’enfant séduit sa mère, et la mère séduit son enfant, pour apprendre à s’aimer mutuellement.

L’enfant doit traverser une étape de « castration » pour quitter sa « toute-puissance », à l’épreuve de la réalité et des limites, et atteindre un « narcissisme secondaire » (vers les 3 ans), dans lequel il développe son « idéal du Moi », il prend conscience à la fois de son incomplétude et de l’importance vitale d’être en relation avec les autres. Cette traversée saine lui apporte : estime de soi, assurance, autonomie, capacité d’entreprendre, et capacité d’investir en toute confiance de nouvelles relations.

 

Autorité et séduction : des valeurs sociales

Comment ces deux valeurs sont-elles portées dans votre famille ? Les hommes sont-ils « respectés et craints » ou « coureurs de jupons » ? Les femmes sont-elles des « femme-enfants » ou « portent-elles la culotte » ?

Comment ces valeurs cheminent et évoluent à travers la généalogie de votre famille ?

Nous pouvons également élargir notre questionnement aux aspects historiques et géographiques :
– comment l’autorité et la séduction, en tant que valeurs sociales, ont évolué en France entre l’avant et l’après mai ’68 ?
– comment ces deux valeurs sont-elles représentées dans des sociétés à orientation patriarcale ou matriarcale, dans des régions planétaires telles que : Europe du Nord, Méditerranée, Afrique Noire ?
– et bien-sûr, selon mon sujet de prédilection du moment, comment sont-elles portées dans une culture catholique, musulmane, juive, bouddhiste, athée, ou autre ?

Vive la liberté d’expression !
:O)

Lecture :
Jean-Pierre Lebrun : Les Couleurs de l’inceste. Se déprendre du maternel.

 

 

 

« Je tu(e) il » – Psychanalyse et mythanalyse des perversions – Michel Cautaerts

Perversions narcissiques - Je tu(e) il - Michel Cautaerts« La peste du XXIeme siècle », c’est ainsi que Michel Cautaerts qualifie les perversions narcissiques. La plupart du temps cachées, elles minent la vie d’un grand nombre de victimes, tant au niveau des couples, des familles que des entreprises.

Les perversions narcissiques
Il y a à peine une vingtaine d’années que les mécanismes des perversions narcissiques font l’objet d’études sérieuses. Connues par le grand public sous le nom de « harcèlement moral » ou de « violence perverse » – grâce aux publications de Marie France Hirigoyen -, peu à peu les professionnels de santé, les éducateurs, les juristes, les enseignants, …, s’intéressent à ces comportements qui empoisonnent la vie d’autrui.

Michel Cautaerts nous livre sa riche expérience de thérapeute. Son livre embrasse un horizon des plus larges, il s’adresse à tous ceux qui sont confrontés à ce type de perversion, en premier lieu aux personnes qui ont pour mission d’aider les victimes et aux victimes elles mêmes.

Comment repérer les pervers ?
Si les victimes, dès qu’elles comprennent dans quel piège elles se trouvent, n’ont aucun mal à décrire le comportement de leur bourreau, pour l’entourage immédiat la situation est  plus difficile à cerner. Les pervers narcissiques sont des individus « normaux », la plupart du temps ils apparaissent sous des angles très avantageux. Mais que l’on ne s’y trompe pas : leur action, bien que souterraine, est redoutable et destructrice !

L’auteur liste les caractéristiques du pervers narcissique :

  • « Ses impératifs lui imposent de ne jamais dépendre et de ne jamais pouvoir être pris sur le fait.
  • Il possède tout les droits et autrui aucun.
  • Si la loi existe pour les autres, lui peut la contourner.
  • Il distille dès lors le flou et la confusion, change selon ses attentes, rationalise, fuit les responsabilités qu’il met sur le dos des autres.
  • Il n’a cure d’aucun cadre, de travail ou de relation.
  • Il exploite autrui au nom de l’amitié mais ne lui rend pas la réciproque.
  • Dans la relation, les demandes sont toujours unilatérales.
  • Il met régulièrement l’autre en cause mais ne peut jamais l’être lui-même.
  • Il se présente comme un malheureux, à plaindre et à aider, ce qu’il n’est pas.
  • Sa préférence va aux communications indirectes, à la manipulation à distance ou par des intermédiaires.
  • Il s’entoure de complices mais n’a pas d’amis. »

A cette liste, extraite du chapitre « Victimes et patients », s’ajoutent de nombreux autres points qui se situent sur le même registre.

Comment aider les victimes ?
Par nature, les pervers narcissiques consultent peu, et s’il le font, ils se présentent le plus souvent comme des victimes, ce qui nécessite une grande habilité et une grande expérience des intervenants pour démêler le vrai du faux.

En présence de victimes avérées, les psychiatres, psychanalystes, thérapeutes, …,  doivent impérativement sortir de leur réserve habituelle, expliquer clairement quels sont les mécanismes mis en jeu et aider la victime à les repérer.

Michel Cautaerts décrit les phases de traitement :

  1. Démonter les mécanismes : prise de notes et écueils à éviter ;
  2. La reconquête de l’identité ;
  3. la reprise du développement normal ;
  4. l’individualisation c’est-à-dire la (re)conquête de l’identité.

Le travail du psychanalyste
Un chapitre est consacré au travail du psychanalyste. L’auteur souligne les différences entre la manière jungienne de travailler et les autres. Il rappelle les règles fondamentales et indique que « La recherche de la vérité se situe au cœur du travail psychanalytique et requiert de la part de l’analyste, d’une part, et du patient, d’autre part, qu’ils fassent preuve de respect et d’honnêteté l’un envers l’autre, conditions indispensables à la sécurité des deux. »

La prise de rendez-vous au téléphone, le premier entretien, le cadre des interventions et bien d’autres éléments sont détaillés. Michel Cautaerts met en garde des difficultés et des dangers que doivent affronter les soignants et autres intervenants qui sont en contact avec des pervers narcissiques.

La question du mal
Derrière les perversions se profile la question fondamentale du mal. Réponse à Job, le livre qui s’est présenté à Jung comme une symphonie, sert de fil conducteur aux  questionnements de l’auteur.

Dans sa conclusion l’auteur indique : « Ainsi, le Mal est une puissance qui ne peut être clivée de l’image de Dieu. Aujourd’hui, sa recrudescence inquiète, dans sa forme moderne, liée à l’abstraction et à l’imaginaire d’une toute-puissance entretenue par les perfectionnements techniques considérables auxquels nous avons assisté depuis quelques décennies. En effet, la multiplication des irrespects de tous ordres, l’expansion des procédés pervers qui sont la nouvelle peste, l’efflorescence et l’extraordinaire multiplication des procédés manipulateurs et la réapparition en force des concepts paranoïaques comme celui de droit du sol montrent jusqu’à la nausée que la lutte du Bien et du Mal est dans une phase critique. »

Cette phrase clef termine l’ouvrage : « Il est urgent de réaliser la rencontre des âmes qui prélude au mariage sacré. »

Plusieurs modes de lecture
Cet ouvrage offre plusieurs modes de lecture, les différents chapitres peuvent être abordés directement, selon l’intérêt de chacun. Ce livre s’accompagne de solides bases théoriques, accessibles à tous les thérapeutes (pas seulement jungiens !), mais également à tous ceux qui sont concernés par le sujet. Plusieurs schémas (dont certains repris de Pierre Solié), et des tableaux, aident à la compréhension des mécanismes sous jacents aux troubles de l’identité.

La mythologie occupe une place de choix. L’auteur établit un lien entre le contenu de certains mythes et les situations vécues aujourd’hui dans les couples, les familles ou les organisations petites ou grandes. Les archétypes, véritables moteur de l’humain, sont décrits, ils apparaissent en filigrane de tous les développements. Les contes ne sont pas oubliés, en particulier ceux en relation avec le thème traité.

Préface de Michel Cazenave, éditions de boeck , 460 pages.