Panne d’ascenseur dans le social

Depuis 2015, un sujet me trotte dans la tête. J’ai commencé à mettre en forme mes idées en 2017 et ces idées ont pris la forme d’un essai. Mon ami Bernard Legros a bien voulu écrire la préface, et l’éditeur Libre et solidaire a été intéressé par mon projet, qui est paru le 30 mai 2019.

Je soutiens les librairies indépendantes faces aux GAFAM, et soutient cette sélection de livres pour réfléchir sur l’Amazonie.

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Véritable métaphore, ce texte dénonce les déviances de notre société qui laisse en chemin les personnes les plus fragiles sous prétexte de modernité.

En 2002, dans un quartier ouvrier de Strasbourg, le petit Bilal, un enfant de 4 ans, chute dans une cage d’ascenseur et décède. Cet accident très médiatisé, à l’origine de la loi de Robien, nous interpelle sur l’état de notre société.

Le progrès technologique est-il vraiment accessible à tous ? L’ascenseur, solution de notre société moderne, est-il supérieur à l’escalier, solution « économique » ? À travers ce parallèle, c’est tout le concept de « progrès » qui est remis en question. Cette parabole décrit un système social qui augmente les inégalités entre les classes, les privilégiés d’une part et les laissés-pour-compte d’autre part, ce fossé se creuse de plus en plus engendrant frustrations et suscitant le rejet de notre système politique.

Cet ouvrage nous invite à refuser ce faux progrès, à changer nos références culturelles, notre regard sur le monde et sur nous-mêmes, et surtout à modifier notre comportement, le temps presse…

Le scandale de l’Aide Sociale à l’Enfance

Les enfants attirent les pédophiles, parfois déjà condamnés, dans l’enseignement, dans le clergé… Les enfants font parfois l’objet de maltraitance, dans des familles d’accueil qui sont censées être contrôlées par l’administration. Le parcours « administratif » des enfants est parfois aberrant (placement/retrait), en contradiction avec les besoins de développement psycho-affectifs.

On souhaiterait élever des borderlines, on ne s’y prendrait pas autrement.

Les enfants attirent aussi les profiteurs : les comptes de l’aide sociale à l’enfance ne sont pas contrôlés : il est possible de vivre un train de vie dispendieux aux frais de l’argent public.

Un reportage diffusé sur France 5 le 13 septembre 2016 :
Enfants en souffrance, la honte !

On retrouve dans ce reportage la logique bureaucratique, faite de négligence, d’indifférence, de contrôle faible, de médiocrité, de déni.

Comme le fait remarquer Patric Jean, la plupart des terroristes, bien médiatisés par BFM TV, sont passés par les foyers de l’enfance, l’école de la criminalité infantile.

Qui se rappelle que les frères Kouachi, Mehdi Nemmouche (musée juif de Bruxelles), Mohamed Merah mais aussi Hasna Aït Boulahcen (tuée dans l’assaut à Saint-Denis) sont tous passés par des foyers de l’enfance ?

Attentats: la valse des hypocrites ne fait que commencer

Honte à l’Etat français, honte à nous.

Les fantômes de la guerre 14/18 : Le massacre de Dinant

L’actualité du mois d’aout est à la commémoration du centenaire de la guerre de 14/18. Et voici un article très concret qui montre la survivance d’effets toxiques chez les descendants de victimes civiles massacrées par des militaires.

Parfois dans ma clientèle, la question des génocides est présente. Il n’y a pas de fatalité, il est possible de faire face au passé, même lorsqu’il ne reste plus grand chose de palpable : le passé est en nous, dans notre inconscient, et de façon épigénétique, au niveau cellulaire. La psychogénéalogie peut aider à apaiser l’héritage et la transmission.

L’article original est sur le site de geneasens :

Le massacre de Dinant

Il explique comment les peurs intenses sont transmises de façon épigénétique entre les générations. En voici ci-dessous la conclusion.

Conclusion :1914/2014 : Un cycle de 100 ans à surveiller

Comme nous l’avons vu, les dates anniversaires sont des signifiants très puissants, nous pouvons donc être fragilisés à la date anniversaire d’un événement traumatisant dans notre famille dont nous n’avons pas toujours une connaissance consciente.

Pour le genre humain les cycles de 100 ans sont très symboliques et doivent être pris en compte dans la compréhension de certains processus psychologiques.

A la veille des commémorations qui se préparent pour le centenaire de la grande guerre il est donc plausible que les « fantômes » de la grande guerre remontent du passé dans les familles où les drames vécus par les aïeux non pas été suffisamment élaborés.

Paradoxalement ce retour des fantômes de 14/18 peut être une opportunité pour aider les familles qui sont toujours actuellement impactées par la violence de histoire.

Il sera donc très important que nous soyons attentifs à la manière dont seront menées et ritualisées ces commémorations pour qu’elles conservent leur fonction essentielle liée au devoir de mémoire mais aussi leur fonction indispensable de symbolisation, de réparation et même de guérison de deuils individuels et collectifs parfois inachevés depuis plusieurs générations.

Pierre Ramaut

Deux formes de jeu : game et playing

Voici un extrait ci-dessous de La fabrique des imposteurs, de Roland Gori, p. 279 – 284.

Mon commentaire

Dans l’univers de mes patients revient souvent la tendance qu’ont les enfants et les adolescent.es à se replier sur des activités appauvrissantes, inquiétantes ou dangereuses :
– chez les filles : maquillage vulgaire, pauses lascives suggérant une sexualité débridée chez des fillettes de 10 ans, chant stéréotypé avec accent anglais « vu à la télé » ;
– chez les garçons : jeux vidéos ultra-violents avec scènes de meurtre, de torture, ou à caractère sexuel dégradant l’image de la femme.

Ces activités sont de l’ordre du game : compétition, solitude, stress.

Notre responsabilité de parent nous demande de limiter ces activités, d’en rappeler le caractère dangereux, d’en expliquer les conséquences nocives, même et surtout au risque de passer pour un réactionnaire parce que les parents du meilleur ami de mon fils ont baissé les bras et lui laissent tout faire.

Et au delà des interdictions, proposer des activités « de leur âge », qui sont plutôt de l’ordre du playing :
– créativité à la maison (pâtisserie, peinture, modelage, instrument de musique…) ;
– et en extérieur : jardinage, accrobranche, randonnées à pied ou à cheval, en forêt, en montagne, dans des territoires éventuellement un peu inquiétants ou dangereux, dont on aura calculé le risque au préalable.

L’adolescent est en pleine pensée magique, et il est en demande d’univers fantastique, qui peuvent être fournis dans la réalité : forêts, grottes & gouffres, menhir & dolmen, arbres et autres sites remarquables.

La lecture à haute voix, en famille, des grands classiques mythologiques (Ulysse et « L’Iliade et l’Odyssée », Arthur et « Les chevaliers de la table ronde », « Les contes des milles et une nuits », etc.) et les dessins animés visionnés tous ensemble (par exemple : « Frère des ours »,  « 1001 pattes », « Némo », « Rebelle », etc.) sont une alternative domestique. Prévoir un temps d’écoute et d’échange pour permettre l’assimilation et l’expression des émotions.

Comme Hannah Arendt l’a montré, la vie humaine aujourd’hui n’a plus que le travail pour s’exprimer ou le loisir pour s’occuper : « Le gouvernement au sens ancien a, à bien des égards, cédé la place à l’administration, et l’accroissement constant du loisir pour les masses est un fait dans les pays industrialisés 1.» L’artiste qui constitue, comme on l’a vu, le lieu social et politique d’une résistance à cette transformation dans la civilisation technique du monde ne saurait, sauf à se désavouer, se réduire à un travailleur de la production culturelle. Il a au contraire pour fonction sociale et politique d’être le garant d’une pensée artiste, d’une forme épique de la vérité, quel que soit son art, potentiel à l’œuvre chez tout citoyen digne de ce nom. Tel fut le défi relevé par Jacotot. Œuvre ou travail ? Passion primitive de l’inégalité ou reconnaissance du semblable? Tels sont les enjeux de notre futur pour que l’humanité puisse exister.

Pour répondre à une telle question il faut rappeler que pour le psychanalyste l’œuvre entretient une relation privilégiée avec le jeu par où l’enfant construit authentiquement sa subjectivité et élabore le monde, le monde dans lequel il vit. J’entends ici le jeu comme espace potentiel dans lequel Winnicott 2 localise l’expérience culturelle en tant que lieu où nous vivons vraiment, zone intermédiaire entre la réalité objective et la réalité subjective. Cet espace potentiel permet au sujet de se construire dans une pause des contraintes tant extérieures, qu’il doit sans cesse respecter pour ne pas devenir fou, que subjectives, en provenance des exigences pulsionnelles sans lesquelles il se couperait de son expérience corporelle. L’espace potentiel est le lieu où le sujet n’est pas contraint de choisir entre la brutalité des formes objectivées, en particulier des formes imposées, et le chaos des excitations de désir, informes, morcelées et morcelantes. Cet espace de l’illusion vraie, espace du jeu – playing – constitue le prototype de ce qui, au cours du développement, s’étend progressivement à l’art, à la culture et à l’œuvre de pensée. Le jeu, le rêve ou la poésie en train de se faire, de s’inventer, constitue, comme nous l’avons vu, une thérapie en soi, grâce à laquelle nous entrons en relation avec le monde sans devoir nous couper de notre intimité corporelle et des fantasmes qui lui sont associés. C’est le lieu où à notre insu nous ne cessons de pratiquer des catachrèses, des transformations des formes imposées du monde pour les inventer, nous les approprier subjectivement, les affecter de cette touche personnelle dont sont dépourvues les productions factices et les adaptations automatiques conformes.

Si le monde environnant ne permet pas cette transformation qu’autorise l’illusion du rêve, de l’amour, de l’art et de la culture, alors le sujet lâche le playing au profit du game. Le game est un jeu organisé dans les règles formelles et précises, qui nécessite davantage des stratégies cognitives et des satisfactions haineuses que le playing. De la même manière qu’il faut à l’enfant un « environnement suffisamment bon », « une mère suffisamment bonne » qui tolère qu’en partie son monde soit celui des « doudous » et autres objets « transitionnels », le jeu et la culture ne sont possibles que dans des « sociétés suffisamment bonnes ». Ce qui ne veut pas dire bien entendu des sociétés dépourvues de cruautés, d’exigences, de contraintes et de violences de toutes sortes, mais simplement des sociétés où on peut vivre, jouer, chanter et rêver de temps à autre, sans la pression de l’urgence, et sans cette « fuite maniaque » dans l’excitation permanente que connaissent bien les psys et dont Winnicott 3 a remarquablement décrit les symptômes et les processus : « L’expression « défense maniaque » se propose de couvrir la capacité dont dispose une personne pour dénier l’angoisse dépressive inhérente au développement affectif, angoisse qui appartient à la capacité de ressentir la culpabilité, de reconnaître sa responsabilité pour les expériences instinctuelles, et pour l’agressivité dans le fantasme qui accompagne les expériences instinctuelles. » C’est, nous dit encore Winnicott, un mécanisme couramment utilisé pour ne s’intéresser qu’au bruit, à la lumière et à la fureur du monde extérieur, une fuite en avant frénétique dans des sentiments immédiats et superficiels consistant à dénier la réalité intérieure, le travail de deuil autour duquel le psychisme se fonde. Prosaïquement parlant, un tel mécanisme psychologique et social consiste à vivre au balcon pour ne pas voir ce qui se passe à l’intérieur.

Le game n’est pas la même chose que le playing, il est jeu mais jeu réglé, presque programmé par toutes sortes de contraintes et de stratégies dans lesquelles le sujet se débat pour en tirer le meilleur parti, s’affaire, parfois avec génie, pour réussir ses performances. Le game est l’introduction du monde de la guerre ou du champ de course dans l’espace du jeu, par l’exigence de compétition et de dépassement des performances. Il est plus proche d’un exercice virtuel que de l’expérience créatrice de l’art. Il devient le modèle de ces jeux de l’économie expérimentale qui organise l’art du gouvernement politique d’aujourd’hui, il appartient pleinement, dans sa nature et sa fonction, au domaine de la lutte, lutte contre soi, lutte contre l’autre, voire contre le hasard.

Ce qui ne veut pas dire bien évidemment que le game est à proscrire, puisque les deux formes du jeu se révèlent indispensables pour enrichir notre expérience du monde. Mais le game est également un jeu intéressé par ses résultats et peut-être est-ce ce qui explique en partie la place privilégiée qu’il occupe dans le monde contemporain.

Seul le playing détient cette inutilité essentielle par laquelle le jeu humain localise culturellement l’expérience fondamentale qui le maintient à distance des risques majeurs que sont le rationalisme instrumental et formel comme l’expérience hallucinatoire 4. Le playing, jeu spontané, s’inscrit dans un espace particulier, ni au-dedans, ni au-dehors, dit Winnicott, fait de confiance et d’abandon, au sein duquel nous manipulons les objets du monde extérieur en les affectant des valeurs psychiques du rêve. Mais à aucun moment, l’investissement paradoxal de ce qui est réalisé au cours du jeu ne doit être résolu, puisque c’est « pour rire et non pas pour de vrai ». Il ne faut surtout pas résoudre ce paradoxe dans lequel réalité et rêve sont en un temps confondus, sinon le jeu s’arrête, on tombe dans le monde pur du rêve ou dans celui de la réalité. C’est parfois ce qui se produit lorsqu’au cours du jeu les excitations sexuelles et agressives deviennent telles que le jeu s’arrête. Le playing est donc un mode d’exploration de soi-même et de la réalité, essentiel dans l’expérience vitale d’un sujet. Le game permet également l’exploration du monde, il peut se rapprocher du playing, mais il demeure, comme le dit Winnicott « avec ce qu’il comporte d’organisé, comme une tentative de tenir à distance l’aspect effrayant du jeu [playing] 2 ».

Autrement dit, non seulement du point de vue de la subjectivité, mais encore pour le vivre-ensemble de la collectivité, l’expérience culturelle seule peut éviter la monstruosité du rationalisme morbide, dont nous avons vu jusqu’où il pouvait aller, comme celle des idéologies hallucinées et hallucinantes qui finissent par faire l’éloge de la mort et la destruction du monde concret au nom d’un monde transcendant ou abstrait. Ce qui veut dire concrètement que les arts et les humanités, tout ce qui participe à la fabrique de l’homme ne doit en aucune manière être négligé au profit des enseignements et des formations plus techniques ou étroitement professionnels comme cela l’a été ces dernières années.

1. Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne (1958), Paris, Calmann-Lévy, 1994, p. 32.

2. Donald W. Winnicott, Jeu et Réalité. L’espace potentiel (1971), Paris, Gallimard, 1975.

3. Donald W. Winnicott, « La Défense maniaque » (1935), in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 15-32.

4. Cf. Roland Gori, Le Corps et le signe dans l’acte de parole, Paris, Dunod, 1978.

La face cachée des produits d’hygiène et de beauté

Mon commentaire

17.06.2014
Les perturbations du système endocrinien peuvent entrainer des troubles du sommeil, une transpiration excessive, une fragilité de l’immunité… Symptômes qui accompagnent souvent la souffrance psychique. Remplacer les produits dangereux par des produits respectueux peut concourir à l’efficacité de la thérapie.

L’appel de la jeunesse s’est merveilleusement organisé en quelques mois, pour proposer aujourd’hui ce quizz amusant et pédagogique, sur un sujet pas drôle du tout.

Olivier Rouzet

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Perturbateurs Endocriniens
La face cachée des produits d’hygiène et de beauté

Après avoir tiré la sonnette d’alarme sur les impacts des perturbateurs endocriniens sur la fertilité, le mouvement Générations Cobayes revient avec une campagne sur les produits cosmétiques et d’hygiène. Parce qu’on le vaut tous bien, Générations Cobayes invite à découvrir la face cachée des produits de beauté et d’hygiène, pour réclamer un étiquetage transparent des perturbateurs endocriniens sur les produits qui en contiennent.

A travers un questionnaire en ligne, au ton décalé et sarcastique, cette campagne interpelle sur les messages publicitaires et les produits de beauté et d’hygiène des grandes marques. Douceur, fraîcheur, saveur, les effets vendeurs peuvent en réalité cacher des substances, quant à elles, bien réelles, et parfois toxiques. Parmi celles-ci, les perturbateurs endocriniens. Pourtant considérés par l’OMS comme une menace pour la santé et l’environnement, ces produits toxiques sont encore présents dans 40% des produits d’hygiène-beauté[1].

Parabènes, phtalates, filtres chimiques à UV, les perturbateurs endocriniens interfèrent avec le système hormonal et sont ainsi suspectés d’être à l’origine de la forte progression des maladies chroniques modernes (maladies cardiovasculaires ou respiratoires, cancers, diabètes…). Avec un taux d’incidence des cancers particulièrement élevé -1 homme sur 2 et 2 femmes sur 5- la  France est devenue le premier pays au monde pour les cancers hormono-dépendants (cancer du sein, de la prostate et du testicule)[2].

Plus qu’un message de prévention, c’est un appel à changement que Générations Cobayes lance à travers cette campagne. Ils demandent à Ségolène Royal l’étiquetage des perturbateurs endocriniens sur les produits cosmétiques et d’hygiène pour, à termes, inciter les grandes marques à ne plus en produire. Car si l’affichage des ingrédients est obligatoire sur ces produits, il ne précise aucunement la présence et le risque de perturbateurs endocriniens.

Egalement semeur d’initiatives, Générations Cobayes lance prochainement un club d’excellence, rassemblant des entreprises exemplaires en matière de santé environnementale. Récompenser les démarches responsables comme levier de changement pour continuer à se faire de bien  sans se faire de mal, telle est la mission de Générations Cobayes.

[1] selon une étude réalisée par l’Institut Notéo, 2013
[2] Centre International de Recherche sur le Cancer, the Globocan Projet, déc. 2013

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Découvrez la face cachée des produits d’hygiène et de beauté

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La Perversion ordinaire – Vivre ensemble sans autrui

Mèreversion et néo-sujet

Denoël 2007, 436 pages
Source : Parutions.com

Dans son nouvel ouvrage, Jean-Pierre Lebrun, psychiatre et psychanalyste, ancien président de l’Association freudienne internationale, auteur de nombreux ouvrages, dont Un monde sans limite et L’Homme sans gravité en collaboration avec Charles Melman, s’interroge sur les changements qui, en quelques années aussi bien dans le droit, la médecine, l’éducation, la culture, l’économie, la sexualité, ont émergé dans la société occidentale. Certains philosophes, romanciers, essayistes, ou psychanalystes n’ont pas manqué de les relever. Citons pêle-mêle On achève bien les hommes et L’Art de réduire les têtes de Dany-Robert Dufour, L’Enseignement de l’ignorance et Impasse Adam Smith de Jean-Claude Michéa, L’Homme économique de Christian Laval, sans oublier les essais drolatiques de Philippe Muray (L’Empire du bien, Exorcismes spirituels). D’autres ont exulté à leur apparition, pensant que la société postmoderne était en bonne santé physique et mentale. D’autres s’en inquiètent comme Jean-Pierre Lebrun. Qu’en est-il ?

La Perversion ordinaire débute par une introduction consacrée à la crise de la légitimité qui caractérise la société actuelle. La suite contient deux parties : une première, comprenant quatre chapitres, aborde le volet sociétal de la question, autrement dit la description et l’analyse des changements qui ont conduit à une véritable mutation du lien social ; une seconde, recouvrant quatre autres chapitres, décrit les effets de ces changements sur la subjectivité. Un chapitre central met en évidence la place stratégique de l’éducation, lieu par excellence où se nouent lien social et subjectivité. La conclusion évoque la nouvelle responsabilité du sujet dans cette société postmoderne.

Voilà en tout cas un livre qui devrait apporter quelques lumières aux personnes en plein désarroi, un livre qui fait donc sens. Pour cela, Jean-Pierre Lebrun revient aux bases de l’humanisation. Tentons de le résumer pour en comprendre l’importance car le livre explique quelques notions de base en psychologie.

Pour être homme, pour accéder au langage, il faut perdre notre rapport immédiat et animal au monde et aux objets, renoncer à la toute-puissance infantile, faire le deuil de cette soustraction de jouissance, de ce moindre-jouir (à ne pas confondre avec l’acception usuelle de « plaisir que l’on goûte pleinement »). Parler signifie donc que je consens au vide, à la perte, à la négativité, nous dit Lebrun. C’est ce que les psychanalystes appellent la «castration». Tout sujet doit effectuer cette subjectivation pour soutenir la division entre jouissance et désir. La différence entre les deux est simple : par exemple, boire un vin peut être qualifié de plaisir mais l’alcoolisme emporte le sujet vers une jouissance mortifère. Le plaisir suppose l’intégration d’une limite, contrairement à la jouissance qui n’en suppose aucune. L’enfant, à ce stade, est d’abord ce que ses parents disent de lui. Puis en commençant à parler, en répétant les mots qu’il entend, il endosse ce qui est dit autour de lui et ce qui est dit de lui. Puis vient le stade du Non ! C’est à partir de sa propre position subjective qu’il soutiendra sa parole. En se réappropriant cette négativité, le sujet habituel trace sa propre voie. Il n’y arrive qu’après s’être autorisé à faire objection à l’Autre.

S’il en va un peu autrement de nos jours comme on va le voir, le social était auparavant organisé entre autres sur le modèle religieux. On reconnaissait l’existence d’une transcendance comme celle du roi, du chef, du père, du maître, du professeur… Vaille que vaille, ce moment reprenait la transmission du moins-de-jouir à une société construite autour de la place prévalente du père. Si cette dernière était critiquable, il n’était pas nécessaire de se débarrasser au passage de toute hiérarchie. De plus, cela n’abolit pas pour autant la différence des places prescrite par la structure du langage. Ce système ayant été ébranlé, tout se passe comme si nous nous étions affranchis non seulement de la nécessité d’avoir affaire à une transcendance concrète, mais de l’intérêt de conserver un quelconque transcendantal (extériorité). Or, pour se libérer des figures de l’autorité, il faut qu’on dispose d’un psychisme d’adulte. L’enfant n’est pas capable de se séparer d’une telle figure s’il ne l’a pas rencontrée auparavant. Il arrive toujours dans un monde déjà là avant lui et de ce fait sa dépendance initiale est inéluctable.

A la verticalité, au transcendant, à la vérité, on a opposé l’horizontalité, l’immanent, l’aléatoire : le relatif excessif. C’est toute la vie collective qui, de ce fait, a basculé. Elle ne se soutient plus d’un ordre préétabli qui transmet des règles, mais d’un «ordre» qui doit émerger des partenaires eux-mêmes. Comment concilier tous les avis différents ? Tout cela est-il même compatible avec l’idée même d’éducation ? Comment un enseignant peut-il faire cours s’il ne dispose plus des conditions minimales pour assurer son enseignement ? Dans un tel régime, l’autofondation et l’individualisme sont prévalents. C’est ce monde sans limites qui est actuellement promu, un monde où toute autorité (dieu, père, professeur, etc.) est battue en brèche car elle limite la toute puissance infantile et prétend se passer du manque fondateur. «Nous pensons, quant à nous, qu’une telle économie subjective a effectivement toujours existé, mais que c’est sa prévalence et donc sa banalisation qui représentent aujourd’hui une essentielle nouveauté. Car à partir du moment où une telle économie devient dominante, cela vient bouleverser radicalement notre façon d’être au monde. Ce changement nous oblige à réviser toute notre conception de la normalité», écrit Lebrun. Et il emploie le terme de néo-sujet, reprenant aussi la formule de Charles Melman, «nouvelle économie psychique», pour désigner le régime sur lequel vit le néo-sujet.

Pour Lebrun, nous passons d’un système consistant et incomplet (hiérarchique et prenant en compte le manque fondateur) à un système complet et inconsistant (sans place pour la négativité). Renversement radical. C’est à une mutation du lien social qu’on assiste, mutation provoquée par la conjonction de trois forces : le discours de la science, la dérive de la démocratie en démocratisme et le développement du libéralisme économique débridé. Un changement qui entraîne l’éviction de ce qui installait une possibilité d’articulation entre le tous et le singulier. Mais aussi entre ce que l’on consent à perdre pour le tous et ce que l’on soutient de sa singularité. Car c’est en reconnaissant l’existence de cette articulation que l’on peut à la fois et en même temps être membre d’un groupe social et pouvoir être reconnu dans ce que l’on a de singulier. Nous avons affaire à des individus devenus adultes sans avoir été obligés de quitter l’enfance et sans même le savoir. C’est l’enfant généralisé. Faire de l’enfant un roi ou le traiter comme un adulte, c’est l’empêcher de devenir responsable. Pour la première fois dans l’Histoire, la famille protège ses enfants de la société !

Pour Lebrun, dans cet «ordre», le symbolique ne peut plus appréhender le réel, un réel devenu source d’injustice, comme un traumatisme qu’il faut réparer de toute urgence. Les répercutions sont nombreuses comme l’abolition de toute différence, y compris la différence générationnelle, mais aussi la phobie scolaire, les procès en tous genres, l’homoparentalité puisqu’il s’agit non seulement de tout égaliser mais d’accepter les revendications égotistes pour que chacun accède à sa toute-jouissance. L’inégalité était une donne de départ, comme allant de soi, donne qu’il fallait transformer. Nos démocraties posent d’emblée l’universalité du principe d’égalité. C’est ce que Lebrun appelle le démocratisme, conception de la démocratie qui fait l’impasse sur la reconnaissance de la perte, de la soustraction de jouissance et où chacun peut faire ce qu’il veut.

Sommes-nous en train de devenir pervers, se demande alors Jean-Pierre Lebrun ? Question cruciale que pose le livre. Pas structurellement, dit-il. «Ce n’est pas parce que des sujets participent à une économie perverse qu’ils sont eux-mêmes pervers, au sens où ils relèveraient de la structure perverse.» Il invente un mot, celui de mèreversion pour caractériser cette perversion ordinaire. Le tableau clinique du néo-sujet est celui d’un sujet resté enfant de la mère. Expliquons un peu.

En règle générale, l’enfant est en rapport avec la mère, celle-ci étant son premier autre («autre même»), la première personne qui occupe pour lui la scène de l’Autre. C’est dans un deuxième temps que vient le rapport au père (un «autre autre»). Il faut en passer par cet «autre autre» pour poser correctement l’altérité, car il ne suffit pas d’avoir eu affaire à la mère pour vraiment prendre la mesure de ce qu’est l’autre. C’est en cela que ce passage d’un premier autre à un second est le marchepied incontournable pour accéder à la vie en société. Sans cela, le sujet se retrouve à démentir à la soustraction de jouissance, et à s’enfermer dans la croyance qu’il y a moyen de ne pas se servir de l’instance paternelle (donc de l’autorité). En restant seulement enfant de sa mère, le néo-sujet pratique le démenti pour éviter la subjectivation ; le vrai pervers, lui, fait du démenti son mode même de subjectivation, lequel lui permet d’annihiler l’altérité de l’autre en l’instrumentant. Cependant, le néo-sujet et le pervers ont en commun d’importantes proximités de fonctionnement, nous dit Lebrun. Nous avons bien affaire avec le démenti chez les néo-sujets à un mécanisme pervers dans la mesure où il agit dans la perversion, mais sans pour autant que ne se soit structurée nécessairement une perversion chez le sujet qui l’utilise. Du côté de la perversion, une structure, du côté du néo-sujet, un évitement, voire un refus de structuration. Tout se passe comme si le double discours actuel du social, proposant de jouir sans entrave tout en sachant en même temps que la limite à la jouissance est toujours nécessaire, invitait le sujet à soutenir le maintien de deux possibilités contradictoires face à une perception. Nous n’avons pas affaire à un Nom-du-Père forclos (entraînant la psychose), ni à un père faible (hystérie), ni non plus à un père auquel la mère fait la loi (perversion stricte) mais plutôt en ce temps de perversion ordinaire, à un père repoussé dans les marges, toujours bel et bien là mais inopérant, désavoué, comme sans voix.

Et l’on comprend mieux avec ce livre ce qui se passe tous les jours autour de nous. Le néo-sujet, faute d’un ancrage dans la négativité, est comme sans domicile fixe, en errance, nomade ouvert à tous vents, sans habitudes ni épaisseur, prêt à saisir quand il le peut l’opportunité qui se présente. Son caractère est imprévisible, sans orientation bien définie. Il se sentira comme invertébré, flexible, sans capacité critique, absorbant ce qui l’entoure comme une éponge et d’une plasticité ouverte à toutes les manipulations. Une invitation à ne plus se confronter aux avatars du désir et à préférer l’engluement dans la jouissance mortifère (intériorisation du néo-libéralisme économique, selon Marcel Gauchet) Toute une pathologie en découle, y compris de tirer à vue dans une rue à force d’avoir été désubjectivisé ou d’avoir recours sans arrêt à l’Etat pour résoudre son mal être…

Dans ce nouveau régime qui prône la toute jouissance, les sujets ignorent que ce qu’ils privilégient, c’est un mode de jouir où le lien à l’objet n’est plus médiatisé par le signifiant, le langage. L’objet devient l’organisateur de la jouissance. Faute d’avoir fait le travail de séparation que permet le langage, c’est alors l’addiction qui est au programme. Ce «besoin» d’être dans l’excès sert une logique de la sensation qui prévaut sur celle de la représentation. On comprend pourquoi le néo-libéralisme y trouve son compte. Lebrun emploie un néologisme pour caractériser ce phénomène, l’entousement, terme voulant dire pris dans la masse, pris dans le tous, grégarisés. À cet égard, il est faux de dire que nous vivons dans une société individualiste mais plutôt dans une société-troupeau, poussant l’individu à éviter sa division subjective, à troquer son trajet de subjectivation contre une appartenance à la masse : une individuation plutôt qu’une individualisation.

Ce livre dense et simple, même s’il demande une lecture soutenue à laquelle on parvient aisément, est ainsi à mettre entre toutes les mains pour commencer à saisir les mutations du monde contemporain.

Yannick Rolandeau

Conseils aux jeunes pères

Témoigner
J’ai eu un premier fils lorsque j’avais 27 ans. A l’époque, je n’étais pas prêt, et je n’ai pas été suffisamment impliqué dans ce projet. Aujourd’hui, 20 ans après, je suis à nouveau père, et j’explore différemment cette aventure singulière, avec le recul de la maturité.

Je pense au jeune père que j’ai été, et les conseils que j’aurais pu lui donner seront utiles à ceux qui vivent pour la première fois cette expérience « un peu dinguo ».

Etes-vous prêt à devenir père ?
Cette question doit être posée bien avant la « conception ». Combien de temps nous faut-il ? Réfléchissons intuitivement : il faut 9 mois pour qu’une femme conçoive lentement un embryon puis un foetus puis un nouveau-né. Il lui faut ensuite 9 mois pour redevenir « normale », c’est-à-dire « à peu près comme avant » : elle n’aura plus le beau petit ventre ferme qui vous donnait envie de la caresser un peu plus bas et vous faisait bander en un clin d’oeil !

Il faut sans doute également 9 mois pour qu’un homme se remette de ses émotions après l’accouchement, en même temps que sa femme retrouve à peu près son état normal.

Donc il faut peut-être 9 mois pour qu’un homme se décide, et soit prêt à procréer.

La première question qui vient est donc : avez-vous eu au moins 9 mois de réflexion pour discuter avec votre partenaire, qui vous a fait part de son désir d’enfant ? Avez-vous eu ce temps pour réfléchir posément ? Etes-vous capable de temporiser, de freiner les ardeurs de votre compagne, ou de la pression familiale, discrète mais présente ? En fin de compte, êtes-vous capable de dire éventuellement « je ne suis pas prêt » ou « je n’en veux pas » ?

Ne sous-estimez pas ce temps de décision : vous portez une lourde responsabilité, celle de mettre au monde un nouvel être humain. C’est votre part sacrée.

Si vous vous êtes décidé, laissez la nature faire son oeuvre : votre amante tombera enceinte lorsque vous n’y pensiez plus, après des ébats fougueux ou tendres, peu importe. Vous vous abandonnerez dans l’orgasme, et ce sera votre façon d’accoucher, dans le plaisir.

 

Le portage des bébés

Résumé
Nous sommes souvent ignorants à propos des bébés. Le portage ventral avec une écharpe correspond le mieux aux besoins physiologiques et psychologiques du nourrisson. Il permet une transition progressive du monde foetal au monde aérien : c’est un des premiers actes de soin (contact, affection, motricité…) contribuant au développement sain d’un être humain.
Le portage est une pratique traditionnelle tombée en désuétude en France, que nous redécouvrons. Noyés dans un environnement publicitaire agressif, il nous est difficile de retrouver les besoins profonds d’un nourrisson, pour choisir une méthode adaptée de transport : le portage « face au monde » induit par certains fabricants « spécialisés » s’avère catastrophique, parce qu’inadapté aux besoins de l’enfant.
Comment la thérapie est-elle reliée aux notions de portage, de nourriture; comment peut-elle nous permettre de nous situer dans cette société qui s’effondre ?

Premier article
Voici mon premier article sur ce nouveau site, et je commence avec ce que j’ai sous la main,  un document intitulé « Porter les bébés face au monde… Pourquoi et comment éviter ? ».

Premier article de la catégorie « Nourrisson ». Que vient faire un tel sujet sur un site de psy ? Sans doute parce qu’il contraste avec un autre texte que je viens de lire récemment, dans lequel a posteriori, deux vignettes cliniques (études de cas) témoignent de vies ravagées par une arrivée au monde catastrophique. Ces deux femmes, surnommées Azalée et Myosotis, ont vécu les pires trajectoires : nées dans des environnements particulièrement violents et morbides, elles n’ont pas été « portées », c’est le moins qu’on puisse dire. J’oserais dire qu’elles ont été « déportées », avec toute l’horreur que ce mot peut rappeler à nos mémoires européennes.

Bébé ou nourrisson ?
Je préfère ce mot « nourrisson » un peu ancien, chargé d’une étymologie prégnante (nourrir, allaiter, éduquer), à cet autre mot dominant et récent (20ème siècle), issu du babillage : « bébé ». Le mot « bébé » atteint son paroxysme de débilité avec « Réussir son bébé » : le slogan publicitaire d’un industriel « décomplexé », affiché sur des 4×3 dans les inévitables zones commerciales, aux abords des villes françaises. Réussir son bébé : on touche le fond.

Qu’est-ce qu’un nourrisson ?
Un nourrisson, c’est un être désemparé, que nous nourrissons. Nous, ses parents, mais aussi nous, tous ceux que ce petit être sera amené à rencontrer.

Et un jour, le nourrisson a suffisamment été nourri par son groupe ethnique, la société… pour nourrir à son tour. Nourriture terrestre, spirituelle… Le voilà adulte, mûr, affirmé.

Qu’est-ce que le portage ?
Le portage consiste à porter son bébé sur soi, avec un porte-bébé ou une écharpe, dans le dos ou sur le ventre.

Porter son enfant, c’est combler ses besoins fondamentaux, communiquer avec lui en permanence, lui apporter amour,  protection affective, chaleur et contact corporel étroit favorisant la création du lien d’attachement.

Statistiquement, les bébés portés pleurent moins, souffrent moins de « coliques » et leur sommeil est de meilleure qualité.

L’attachement
Ah ! Nous y voilà : l’attachement est un concept psychologique très fécond; on s’en persuadera en constatant la longueur de la page de définition wikipédia. Cette page est peu accessible pour les néophytes, mais le tableau « Schèmes de comportement de l’enfant et du caregiver avant l’âge de 18 mois » est intéressant, et permet de comprendre comment le lien peut se dégrader de façon pathologique : Évitant, Ambivalent/Résistant, Désorganisé.
Une définition courte.

Le portage : une pratique ancienne redécouverte
Le portage est une pratique tellement évidente, tellement logique suivant les besoins du nourrisson, tellement pratiquée depuis toujours, et ailleurs qu’en occident… que pour nous, c’est juste un truc à la mode, une mode « écolo », une « redécouverte ».

Faut-il que nous soyons à ce point dénaturés (coupés de nos instincts), ou déculturés (coupés de nos traditions), pour avoir besoin de « redécouvrir » cette façon de porter nos petits ?

Le fœtus passe 9 mois balloté dans le ventre de sa mère, nourri en permanence, au chaud, à l’abri des regards. Et le voici tout à coup exposé à la faim, au froid, à la lumière qui « pique » les yeux, aux regards prédateurs d’adultes inconnus… trimbalé dans une poussette, sans aucun contact physique avec sa mère, et ce monde fabuleux des odeurs, que nous, adultes, avons complètement oublié.

Le portage « face au monde » : une aberration commerciale
Et nous constatons que même cette idée de « portage ventral » peut être pervertie, lorsqu’un nourrisson est porté « face au monde » :
– sur-stimulation : impossible de se blottir, de se soustraire aux stimulations,
– stress : le bébé ne peut plus communiquer ses émotions par le regard avec son porteur,
– blessures : poids porté sur les parties génitales,
– douleurs et défauts de stature : la colonne vertébrale ne peut pas être maintenue « ronde » comme il convient pour un nouveau-né.

D’où vient cette idée de porter un nourrisson « face au monde » ? A-t-elle germé dans l’esprit vénalement altéré d’un quelconque fabricant de porte-bébés qui se « clipsent en 2 temps 3 mouvements » ?

La poussette : une dérive historique
La poussette issue de la bourgeoisie victorienne est un illogisme, une aberration historique, présentée comme un progrès, car libérant la mère d’un fardeau. Au début prévue pour porter des enfants qui marchent, la poussette a fini par s’appliquer aux nourrissons. Ce n’est même pas le contraire d’un progrès (une régression) : c’est un effondrement ! Une rupture symbolique, un non-sens, une incompréhension fondamentale… le début des ennuis (psy) ! Les bébés sont fait pour être portés, au moins dans les premiers mois de leur existence, jusque l’âge d’environ 6 mois où ils commencent à se tenir assis.

Ignorance, maladresse : des conséquences graves ou fatales
La poussette n’est qu’un exemple presque anecdotique d’incompréhension, et nous pouvons multiplier les exemples. A l’école, les enfants restent assis, sans bouger, sans parler, alors que nous savons maintenant qu’ils apprennent mieux… si ils bougent ! On peut rassurer un petit en lui parlant, en lui disant « à tout à l’heure ». De nombreux accidents du nourrisson sont dus à des lits « suréquipés » (sur lesquels un commerçant peut améliorer substantiellement sa marge). Une petite fille a beaucoup de difficulté à s’endormir parce que ses parents l’ont couchée et sont partis en vacance pendant une semaine : elle pense que si elle s’endort, ses parents vont l’abandonner…

L’effondrement
Les générations qui nous précèdent (enfants de la dépression et de la guerre, baby-boomers, génération X) ont commis de nombreuses erreurs… avec toutes les bonnes intentions du monde. Je pense par exemple à l’idéologie des années ’60 concernant l’allaitement, à l’extrême inverse d’aujourd’hui, et à l’export de lait concentré Nestlé en Afrique (le lait industriel étant présenté à l’époque comme supérieur au lait maternel !). Il nous appartient de mettre à jour ces erreurs, de les analyser, de les désamorcer en nous, de pardonner à nos ainés, et d’inventer un nouvel art de vivre, sainement.

L’idée occidentale du « progrès » est révolue : nous avons tant à apprendre de notre passé, et des autres cultures. Le progrès technologique cède aujourd’hui la place au progrès humain. Nous entrons dans un nouvel humanisme, que j’appelle « L’ère du miroir ».

Notre société s’effondre, nous assistons à son effondrement, et à partir de ce constat, il nous faut choisir une attitude. Soit cet effondrement nous terrifie et nous fermons les yeux, soit cet effondrement nous désempare et nous sommes angoissés, soit cet effondrement est celui d’un monde qui n’est plus le nôtre : nous appelons de nos vœux un monde qui nous ressemble, que nous contribuons à construire dès aujourd’hui, sans faire de bruit, sans que cela soit visible à la télé ou dans les journaux.

Prenons la tangente
C’est ce sens, cette direction à prendre, que je propose à mes patients : prenons la tangente, prenons les chemins de traverse, partons faire l’école buissonnière. Nous en avons soupé de la réussite coûte que coûte, nous en avons assez des mensonges… médiatiques, politiques, publicitaires… Nous en avons assez d’être pris pour des cibles… marketing. Nous en avons assez de subir le harcèlement téléphonique quotidien d’entreprises toutes-puissantes, délinquantes, et impunies…

La psychothérapie : une nourriture ?
Nous nourrissons nos rêves. Nous nous nourrissons de lectures passionnantes, de rencontres étourdissantes, profondes, savoureuses.
Nous nourrissons ceux que nous aimons.

La psychothérapie est peut-être un échange de nourriture, un repas symbolique dans lequel aucun des deux ne mange l’autre : chacun apporte une matière qui se façonne. La demande du patient, l’écoute et les compétences du thérapeute, un désir qui rencontre un autre désir, qui permettent de travailler ensemble, d’élaborer, de creuser un labour, de façonner une matière, de donner forme, d’informer.

Dans un premier temps, nous avons tous besoin d’être portés face à ceux qui nous nourrissent, puis face à nous-même… pour enfin pouvoir faire face au monde.

Références
Association Française de Portage des Bébés, texte de Antje Mattig.